Il
y a cinq mois, Ahmed Abdallah Sambi a pris le pouvoir à la suite des
élections libres et sans aucun doute transparentes. On a pu constater
que lors de ces élections, la
majorité des classes politiques, des catégories socioprofessionnelles et
associatives se sont en majorité ralliées à cette figure d’apparence
prophétique.
La croyance de sa prophétie – contre la misère, la pauvreté et pour l’espoir
– a été tellement forte que le doute sur ses fondements demeurait
improbable. Ainsi, une sorte de consonance cognitive s’est instaurée
dans les structures mentales, et l’issue même était vite considérée
comme irréversible.
Il
est moins utile de montrer comment s’est construite cette figure
prophétique qu’incarne aujourd’hui Ahmed Abdallah Sambi, individu-parti,
puisque nous avons déjà effectué cet exercice de réflexion par ailleurs[1].
Toutefois, alors que le doute sur la validation de la croyance
sambienne émerge, des demi-insatisfactions apparaissent et certaines
ambiguïtés se profilent, il est très intéressant de se poser quelques
questions sur la réalité de la croyance quant à la capacité de Sambi à
changer la société par sa prophétie.
Que
se passe t-il quand une prophétie réussit ? Comment s’opère t-il le
décalage entre la croyance et les faits établis ? En clair que se
passera t-il si Sambi échoue ou réussit ?
Nous
avons constaté que depuis 1999, une forte mobilisation d’action
collective se met en marche, l’intérêt à la politique s’érode et
l’action militante se faufile au dépens de l’action partisane. Le
dérèglement du jeu et de la croyance à
la représentation politique a été au principe de l’émergence de cette
nouvelle figure de captation de vote qu’est cet individu-parti.
Les électeurs, du fait de leur niveau d’instruction plus ou moins élevé et de la porosité des frontières, ont rompu avec la confiance qu’ils ont entretenue avec les hommes d’appareils pour renouer avec des hommes sans appareils.
Or,
ce glissement de la confiance aux hommes d’appareils à celle aux hommes
sans appareils n’a pas fait long feu. Une brèche des sentiments
d’insatisfaction commence à se manifester, à prendre forme de
contestation, au mieux d’invalidation de la croyance. D’où notre seconde
question principale : comment la croyance ou la certitude cède la place au doute ? Ce passage pourrait s’expliquer entre autre par certains faits et gestes[2] :
- La proclamation de soulever la question de Mayotte sur la table de discussion onusienne, puis son retrait[3]
– ce qui a suscité la dénonciation du comité Masiwamane- n’a pas
produit moins d’effets sur la contestation de la croyance. Mais ce n’est
pas que cela seulement qui a anticipé cette conversion de confiance et
par conséquent de son invalidité.
- Pendant
la campagne présidentielle, Sambi, le prophète, n’a pas cessé de se
définir comme un homme de changement, capable de rompre avec les
pratiques anciennes…Cette belle promesse souffre aujourd’hui d’une
entorse grave[4].
Et on ne peut que s’étonner de le voir inviter à son plais, les «
dinosaures » puis les notables, deux catégories qui ont participé et
participent encore à l’effondrement de la communauté politique et
nationale – effet du séparatisme[5]
- alors que les jeunes et les femmes, les catégories
socioprofessionnelles – les ouvriers, les paysans voire les cadres sont
relégués aux oubliettes. On peut négliger l’impact de ces invitations,
mais elles sont révélatrices de la crise doctrinaire qui affecte déjà
celui qu’on croyait être
centriste. Au lieu d’être ce qu’il a à être, il sort du clivage
centriste pour se classer dans l’axe de droite de droite, allergique aux
changements, donc conservateur.
Quand la prophétie réussit
Delà,
nous pouvons restituer notre problématique. Que se passe t-il quand la
prophétie réussit ? Deux effets sont possibles. Le premier effet c’est
l’avènement d’une possible libération cognitive qui désigne un processus
par lequel les électeurs ou les citoyens décodent les ouvertures, les
fluctuations des conjonctures politiques. Le triomphe de Sambi issu du
champ militant les laisse entendre que tout changement de
représentation, notamment partisane, leur serait défavorable, et de ce
fait, les schèmes d’appréciation et de choix se focalisent sur un homme
sans appareils au dépens d’un homme de parti. Ce type de situation
produit une politisation protopolitique.
Au lieu que les individus entretiennent un rapport politique avec les
institutions et avec la politique, ils développent des réseaux
individualisés avec les hommes de pouvoir dans
lesquels les intérêts et les demandes sociales ne seront plus
canalisés, représentés par des canaux institutionnalisés, canonisés et
légitimes mais par des groupes restreints fondés sur la logique de
bande, et de défi de l’honneur ( enjeu proprement coutumier) et sur la
petitesse natale. C’est ce qui est arrivé par exemple aux jeunes
iconiens qui s’en sont pris à la radio de Ngazidja par le seul fait que
l’enfant du village, Saïd Ali Kemal, a été critiqué par cette radio –
celui-ci n’a pas condamné cette violence.
L’individu,
au lieu de concevoir, d’exprimer son mécontentement au travers des
bases d’institutions politiques préfère s’exprimer dans des forces
centrifuges. Cela, parce que la fonction assignée aux partis se trouve
défigurée. Et les entreprises politiques auront du mal à changer la
donne.
Quand la prophétie échoue
En
revanche, en cas d’échec, les choses se passeront autrement.
L’invalidité de la croyance ou de la prophétie offre aux croyants trois
attitudes possibles. La première est celle de la défection (exit),
c'est-à-dire ceux qui croyaient en Sambi vont cesser de croire, donc,
abandonner la croyance en sa capacité de réaliser la prophétie. La
deuxième attitude est celle de la loyauté. Là, les individus continuent à
croire malgré le décalage entre le récit et la réalité. Dans cette
option, ils vont continuer à croire et à imputer la cause du retardement
de la réalisation prophétique à une force extérieure. En disant que si
Sambi n’arrive pas à réaliser ses promesses, cela ne veut pas dire que
celles-ci sont fausses, ou sa prophétie est mal fondée , mais c’est la
faute de la France ou de
l’ancien régime. Ils essaieront donc
de rationaliser. La troisième option, est celle de la prise de parole
(voice) et prend la forme d’une contestation, et d’une invalidation de
la croyance – effet de dissonance cognitive- au mieux d’une révolution
contre les hommes politiques et les institutions qui pourraient prendre
la forme de nihilisme politique.
Dans tout les cas, rien ne présage un climat heureux pour la consolidation de l’Etat. En cas de réussite, les institutions de représentation seront affaiblies, en cas d’échec, elles seront effondrées.
De
ce fait, pour offrir une alternative possible entre l’affaiblissent et
l’effondrement, les hommes politiques ont intérêt à offrir une structure
d’opportunités en encourageant l’action collective autour des
associations de consommation, de l’enfance, des salariés….tenant lieu de
politisation non pas protopolitique mais politique ; en
renforçant les institutions locales, instruments de démocratisation à
la base et de promotion d’égalité des sexes ; de contrecarrer le jeu des
notables pour mieux protéger la liberté de l’individu et assurer la
participation citoyenne ; de concilier l’éthique de foi religieuse et de
la dévotion avec l’esprit d’investissement et du travail ; enfin de
lutter contre les trappes au chômage, une condition nécessaire pour redonner entre autre la dignité de la personne et le sentiment de fierté nationale.
Pour relever ces défis, Sambi
ne devrait en aucun cas gouverner selon l’humeur de la rue ou selon le
défi de l’honneur (sous prétexte de satisfaire les notables) mais selon
les principes républicains qui font que les hommes politiques soient
hommes d’Etat, forts et respectueux de leurs convictions politiques.
M’SA ALI Djamal,
Paru dans Kweli, 16 septembre 2006
Paru dans Kweli, 16 septembre 2006
[1] Lire « le vote d’une crise de représentation : l’émergence d’un individu-parti», Kweli, N° 14- avril 2006.
[2]
On peut citer aussi l’arrestation de certains journalistes d’une façon
expéditive sans aucune préalable enquête ou actuellement le conflit
entre le ministre de la justice et les magistrats.
[3] On peut supposer que cette déclaration médiatique a été une stratégie « du faible» à tirer profit, de
la France
, d’une aide financière en échange du report, et donc en sacrifiant provisoirement tout en instrumentalisant les enjeux diplomatiques au profit des enjeux intérieurs.
[4] Que dire pour un homme de justice et de changement qui confie la question contre la corruption à des gens qui ont travaillé avec les accusés pendant l’ancien régime ?
[5] Lire Azad Halifa, De Marseille aux Comores : Entrée en politique d'une jeunesse issue de l’immigration, éditons De
La Lune.
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