dimanche 1 février 2015

Législatives 2015: le vote éclaté

Points de vue
Législatives 2015: le vote éclaté

Déficit de l’offre politique, couverture médiatique quasi nulle


Si l’on peut constater que la sélection des candidats a été au principe d’une légitimité à la fois intellectuelle, locale, politique… Certains candidats étaient même Docteur en sociologie, en économie, de hauts fonctionnaires, des cadres d’un parcours syndical riche, d’anciens ministres… Ce recrutement a été fortement marqué par le poids du local, plus particulièrement notabiliaire. Ont des chances les ministres, les hauts fonctionnaires. Sociologiquement, les candidats sont surtout masculins, d’âge mûr et socialement privilégiés.


Le recrutement hautement qualifié du personnel législatif s’est traduit d’un constat paradoxal. Les élections de 2015 n’ont pas permis de faire émerger un discours législatif véritable, ce qui produit une forme de dissémination des intérêts, des préoccupations et du débat politique.

La manière dont la chaîne nationale a couvert cette campagne a contribué à la logique de la tenaille, de l’appauvrissement du débat…

L’offre de politique a été disséminée. PEC et Juwa ont mené une campagne négative s’attaquant au gouvernement… La tonalité de leur campagne s’est trompée d’enjeu politique immédiat. Elle s’est focalisée directement d’une manière mécanique sur les présidentielles de 2016.

La CRC a fait campagne sur la réhabilitation du bilan Azali dans une perspective de continuité. Dans un guide sur l’élection adressé à ses candidats, le rôle d’un élu, ses missions, et les grandes lignes de la CRC ont été le support accompagnant la campagne des scrutins…

RDC et UPDC, on ne sait trop sur quoi ils ont fait campagne.


L’étude des campagnes dénote que ces élections se déroulent sans véritables affrontements… L’analyse de contenu permet de se rendre compte de l’absence de véritable message politique dans la campagne ni rétrospectif (bilan) sauf le cas CRC, ni prospectif (projets).

 

Les stratégies Électorales déployées



Les stratégies électorales étaient différentes. Le Parti JUWA voulait couvrir tout le territoire tandis que la CRC visait les circonscriptions de Ngazidja, pour elle, ces élections servaient d’une campagne test, une façon de repérer ses bases électorales dans l’île. Orange voulait confirmer et démontrer son emprise sur Moroni. L’UPDC s’activait à s’imposer à Hamahamet Mboinkou, avec une volonté de résister aux vagues du parti du Mollah à Anjouan, tout en consolidant son électorat à Mohéli. RADHI cherchait à donner une légitimité de son existence au moins dans le fief de son leader.

Quant au profil des candidats, pour la CRC, la compétence, l’enracinement local, comme la fidélité au parti ont été des critères importants de légitimité des candidatures. Chez l’UPDC, l’affiliation partisane extérieure ne semble pas poser problème. Le recrutement d’un riche commerçant à Hahamamet Mboinkou sans une réelle conviction semble confirmer cette hypothèse.

L’enjeu de cette campagne a été lui-même dispersé. Pour Juwa, l’ambition était de gagner la majorité absolue en vue de modifier la constitution, vieille pratique des leaders africains. Ce qui nous conduit à le classer dans les configurations des partis antisystème… Parce que telle ambition qui se caractérise par une sorte d’impatience politique à ne pas respecter les échéances électorales aura des conséquences très nuisibles au système politiques et très fâcheuses sur la cohésion nationale. Pour l’UPDC, en tout cas selon la volonté du président Ikililou, l’enjeu est de résister et d’empêcher le parti Juwa à devenir la première force politique, de réduire son électorat afin d’être non pas un parti dominant, mais un parti influent. Pour le RDC, son ambition était de montrer qu’il est très populaire à Ngazidja que sa gestion de l’île soit réhabilitée par les urnes, cachant par là, son échec total. Tous ces partis ont comme point commun, l’objectif 2016.



Les enseignements


Le premier enseignement est le rejet de l’éparpillement des partis politiques. La concentration des voix sur quatre partis politiques (RDC, UPDC, CRC et JUWA) exprime une forme de défiance à l’égard de la dissémination des partis politiques. Sur 50 partis, seuls 27 partis ont pu présenter et 4 seulement ont pu affirmer leur ancrage local. Le deuxième enseignement est le rejet des petits partis et des indépendants. Pour avoir des chances de se faire élire suppose qu’on soit parrainé par un parti disposant de ressources humaines et financières.


OÙ se trouve l’Électorat RDC ?


Si l’on veut rendre compte du vote RDC selon le contexte actuel de chômage, de dégradations des infrastructures, de l’étouffement de l’économie de l’île de Ngazidja, de l’incapacité du gouverneur à gérer la question des ordures dans la capitale, avec un taux de 52 % de jeunes qui sont au chômage, et plus 32 % des jeunes diplômés en fin d’études qui risquent de se trouver au chômage, il n’est pas indéniable que le jugement global sur l’économie est très négatif qu’il y a 10 ans. Si l’on cherche à mesurer l’influence de ces perceptions sur le vote, RDC et UPDC seraient largement frappés par un vote sanction. Il se trouve qu’à Ngazidja, seul l’UPDC en paie les frais. Alors, comment expliquer le meilleur score RDC ? Un parti faiblement institutionnalisé, au fonctionnement artisanal, à court d’idées et de projets ?

Le vote de porte-monnaie


Son vote, il le doit à la condition de vie précaire. Nous partons de l’hypothèse faite de nombreux sociologues, Serge Paugman, Robert Castel, que l’instauration progressive d’un précariat, d’une une condition socioprofessionnelle instable plongeant ses victimes dans une insécurité sociale conduit les personnes à voter pour celui qui satisfait au moins immédiatement le porte-monnaie, qui assure un faux-semblant de protection sociale : stages, contrats de travail fictif, distribution de biens divisibles, etc.

C’est de-là où se trouve le vote RDC, c’est un vote de porte-monnaie qui ressemble à un vote ego tropique…

Tandis que l’électorat CRC est un électorat beaucoup plus stable qui ressemble à un vote sociotropique : celui dont le choix est fait sur la base de la confiance, des performances passées (vote rétrospectif), et des aspirations à venir (vote prospectif) donc un électorat moins volatil et solide.

Le vote RDC est un vote extrêmement fragile et menacé de changement permanent. Le vote de porte-monnaie fonctionne sur la loi du marché, la relation dure aussi longtemps que l’acheteur (des voix), et le vendeur (qui échange sa voix contre un bien) continuent chacun à tirer profit de la transaction. Mais le prix de ce marché est volatil, changeant, car le vendeur peut être tenté par rompre le contrat pour le plus offrant… Il peut même le dénoncer. Cette transaction très illégale pourrait coûter très cher au candidat.


Toute la stratégie dite gagnante de RDC était de construire son électorat sur la base de ce vote des « achats de conscience », de politique de « bons offices » : distribution d’argent, à des personnes morales ou physiques, octroi de stages, des contrats de travail surchargeant la masse salariale de l’île.
Son homologue Anissi Chamsoudine, lui, faisait des actions de politiques publiques, sur l’école, l’éducation, l’une de ses préoccupations majeures, Mouigni Baraka quant à lui, sa seule préoccupation quotidienne consiste à se demander comment gagner en 2016. De cette ambition, Moroni pue et devient la capitale la plus sale du monde.

Du rejet de Sambi à l’impopularité de l’UPDC


En profonde disgrâce chez élites politiques et dans les urnes à Ngazidja, Juwa est en perte de puissance à Mohéli et même à Ngazidja. Son succès électoral à Moroni n’est pas dénué de tout soupçon antisystème. Son vote serait un vote communautariste. Les élections législatives exposent ce parti quasi hégémonique au plan national. À Anjouan, les électorats se partagent entre l’UPDC, JUWA et le camp du Gouverneur Anissi et les indépendants. Juwa contrôle moins de députés à Ngazidja, et son allié inconditionnel, PEC, présentera peut-être un député. Sa force sociale reste exclusivement à Anjouan.
La sanction enregistrée à Ngazidja est le signe annonciateur d’autres sanctions électorales à venir, d’autres seront autant de répliques dévastatrices. Il est rejeté. Ses campagnes somptueuses en fanfares se révèlent des attroupements de badauds chargés pour faire spectacle.
À l’UPDC, frappée d’impopularité elle aussi à Ngazidja, la situation s’est dégradée… La mouvance connaît la même destinée, son équipe est de plus en plus traversée par des équipes divisées, la communication en peau de chagrin. À Mohéli, île natale du président, il résiste et ne peut pas changer la donne, son vote faiblement important, ne peut lui garantir une majorité absolue.
C’est le RDC qui parvient à capter, à capitaliser l’impopularité du président, afin d’en tirer les fruits de ses inconséquences. On pourrait même dire qu’il forçait les traits de cette impopularité, en la reproduisant par son inaction dans l’île et  en la traduisant en ressources électorales.
Pour que le RDC triomphe, il a fallu que l’UPDC stagne. C’est cette relation apocalyptique dont en partie trouve une explication à ce vote surprise du parti Mouigni Baraka. Fondé en 2013, le RDC n’est pas un parti institutionnellement structuré, n’est porteur d’aucun projet politique, faiblement pourvu en compétences, il manque un projet et une vision. Ce dont Mouigni dispose comme moyens et comme offre politique, c’est le vote de porte-monnaie : enveloppe, contrats fictifs, stages éphémères, bourses, distributions de cahier à son effigie… Autant des moyens qui dans un État de droit, lui auraient coûté cher.

 

La CRC donnée gagnante : son défi


Toutes les analyses attribuent la victoire de ces élections au parti du Renouveau. La CRC continue d’être donnée gagnante. Des journalistes politiques, Mohamed Inoussa, des docteurs d’université, Nassurdine ALI MHOUMADI, des leaders d’opinion, Mohamed Idriss Chanfi, des observateurs avisés, Hamadi Abdou Mrimdu, tous ont fait te le constat : Malgré ses 5 députés au deuxième tour, la CRC est le grand gagnant de ces élections. C’est pourquoi, raison gardée, que le défi de la CRC à l’horizon de 2016 est de construire une alternative désirable et possible. Parce que de ce vote dispersé, sans une réelle majorité parlementaire se lit une forte demande de renouvellement de l’offre politique et de la recherche des figures politiques imposantes, et d’un leader incarnant une figure politique forte.

Vers une recomposition de l’espace politique ?


Une recomposition de l’espace politique semble nécessaire. Plus que jamais, ces élections confirment l’hypothèse selon laquelle pour gagner, les partis politiques doivent unir leurs forces et leurs équipes afin de se constituer en de grandes familles politiques dotées de capacités influentes ou dominantes. Au lendemain du premier tour des élections de 2015, le champ comorien se vit en ordre bipolaire : d’un côté, une configuration portée sur des sensibilités dissidentes (RDC) et antisystème Juwa, aux électorats éclatés dont le fonctionnement s’inscrit sur le mode de la clientélisation, de l’autre, les partis de sensibilités républicaines aux électorats stables (CRC, l’UPDC, RADHI).
Ce qui se dégage dans ces élections, il ne pourrait n’y avoir ni stabilité ni ordre électoral stable sans une réelle recomposition et sans une grande vigilance sur le fonctionnement des organes chargés des déroulements du vote. Les partis politiques ont intérêt à la vertu proprement électorale qu’à la triche et à la fraude.

Msa Ali Djamal, sociologue.

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