Points de vue
Législatives 2015: le vote éclaté
Déficit de l’offre politique, couverture médiatique quasi nulle
Si l’on peut constater que
la sélection des candidats a été au principe d’une légitimité à la fois
intellectuelle, locale, politique… Certains candidats étaient même Docteur en
sociologie, en économie, de hauts fonctionnaires, des cadres d’un parcours
syndical riche, d’anciens ministres… Ce recrutement a été fortement marqué par
le poids du local, plus particulièrement notabiliaire. Ont des chances les ministres,
les hauts fonctionnaires. Sociologiquement, les candidats sont surtout
masculins, d’âge mûr et socialement privilégiés.
Le recrutement hautement
qualifié du personnel législatif s’est traduit d’un constat paradoxal. Les
élections de 2015 n’ont pas permis de faire émerger un discours législatif
véritable, ce qui produit une forme de dissémination des intérêts, des
préoccupations et du débat politique.
La manière dont la chaîne
nationale a couvert cette campagne a contribué à la logique de la tenaille, de
l’appauvrissement du débat…
L’offre de politique a été
disséminée. PEC et Juwa ont mené une campagne négative s’attaquant au
gouvernement… La tonalité de leur campagne s’est trompée d’enjeu politique
immédiat. Elle s’est focalisée directement d’une manière mécanique sur les présidentielles de 2016.
La CRC a fait campagne sur
la réhabilitation du bilan Azali dans une perspective de continuité. Dans un guide
sur l’élection adressé à ses candidats, le rôle d’un élu, ses missions, et les
grandes lignes de la CRC ont été le support accompagnant la campagne des scrutins…
RDC et UPDC, on ne sait trop
sur quoi ils ont fait campagne.
L’étude des campagnes
dénote que ces élections se déroulent sans véritables affrontements… L’analyse
de contenu permet de se rendre compte de l’absence de véritable message
politique dans la campagne ni rétrospectif (bilan) sauf le cas CRC, ni
prospectif (projets).
Les stratégies Électorales déployées
Les stratégies électorales
étaient différentes. Le Parti JUWA voulait couvrir tout le territoire tandis
que la CRC visait les circonscriptions de Ngazidja, pour elle, ces élections
servaient d’une campagne test, une façon de repérer ses bases électorales dans
l’île. Orange voulait confirmer et démontrer son emprise sur Moroni. L’UPDC s’activait
à s’imposer à Hamahamet Mboinkou, avec une volonté de résister aux vagues du
parti du Mollah à Anjouan, tout en consolidant son électorat à Mohéli. RADHI
cherchait à donner une légitimité de son existence au moins dans le fief de son
leader.
Quant au profil des
candidats, pour la CRC, la compétence, l’enracinement local, comme la fidélité
au parti ont été des critères importants de légitimité des candidatures. Chez l’UPDC,
l’affiliation partisane extérieure ne semble pas poser problème. Le recrutement
d’un riche commerçant à Hahamamet Mboinkou sans une réelle conviction semble
confirmer cette hypothèse.
L’enjeu de cette campagne
a été lui-même dispersé. Pour Juwa, l’ambition était de gagner la majorité
absolue en vue de modifier la constitution, vieille pratique des leaders africains.
Ce qui nous conduit à le classer dans les configurations des partis
antisystème… Parce que telle ambition qui se caractérise par une sorte
d’impatience politique à ne pas respecter les échéances électorales aura des conséquences
très nuisibles au système politiques et très fâcheuses sur la cohésion
nationale. Pour l’UPDC, en tout cas selon la volonté du président Ikililou,
l’enjeu est de résister et d’empêcher le parti Juwa à devenir la première force
politique, de réduire son électorat afin d’être non pas un parti dominant, mais
un parti influent. Pour le RDC, son ambition était de montrer qu’il est très
populaire à Ngazidja que sa gestion de l’île soit réhabilitée par les urnes,
cachant par là, son échec total. Tous ces partis ont comme point commun, l’objectif
2016.
Les enseignements
Le premier enseignement est
le rejet de l’éparpillement des partis politiques. La concentration des voix
sur quatre partis politiques (RDC, UPDC, CRC et JUWA) exprime une forme de
défiance à l’égard de la dissémination des partis politiques. Sur 50 partis,
seuls 27 partis ont pu présenter et 4 seulement ont pu affirmer leur ancrage
local. Le deuxième enseignement est le rejet des petits partis et des
indépendants. Pour avoir des chances de se faire élire suppose qu’on soit parrainé
par un parti disposant de ressources humaines et financières.
OÙ se trouve l’Électorat RDC ?
Si l’on veut rendre compte
du vote RDC selon le contexte actuel de chômage, de dégradations des
infrastructures, de l’étouffement de l’économie de l’île de Ngazidja, de l’incapacité
du gouverneur à gérer la question des ordures dans la capitale, avec un taux de
52 % de jeunes qui sont au chômage, et plus 32 % des jeunes diplômés en
fin d’études qui risquent de se trouver au chômage, il n’est pas indéniable que
le jugement global sur l’économie est très négatif qu’il y a 10 ans. Si l’on
cherche à mesurer l’influence de ces perceptions sur le vote, RDC et UPDC seraient
largement frappés par un vote sanction. Il se trouve qu’à Ngazidja, seul l’UPDC
en paie les frais. Alors, comment expliquer le meilleur score RDC ? Un
parti faiblement institutionnalisé, au fonctionnement artisanal, à court
d’idées et de projets ?
Le vote de porte-monnaie
Son vote, il le doit à la
condition de vie précaire. Nous partons de l’hypothèse faite de nombreux
sociologues, Serge Paugman, Robert Castel, que l’instauration progressive d’un précariat,
d’une une condition socioprofessionnelle instable plongeant ses victimes dans
une insécurité sociale conduit les personnes à voter pour celui qui satisfait
au moins immédiatement le porte-monnaie, qui assure un faux-semblant de
protection sociale : stages, contrats de travail fictif, distribution de
biens divisibles, etc.
C’est de-là où se trouve
le vote RDC, c’est un vote de porte-monnaie qui ressemble à un vote ego
tropique…
Tandis que l’électorat CRC
est un électorat beaucoup plus stable qui ressemble à un vote sociotropique :
celui dont le choix est fait sur la base de la confiance, des performances passées
(vote rétrospectif), et des aspirations à venir (vote prospectif) donc un
électorat moins volatil et solide.
Le vote RDC est un vote
extrêmement fragile et menacé de changement permanent. Le vote de porte-monnaie
fonctionne sur la loi du marché, la relation dure aussi longtemps que
l’acheteur (des voix), et le vendeur (qui échange sa voix contre un bien)
continuent chacun à tirer profit de la transaction. Mais le prix de ce marché
est volatil, changeant, car le vendeur peut être tenté par rompre le contrat
pour le plus offrant… Il peut même le dénoncer. Cette transaction très illégale
pourrait coûter très cher au candidat.
Toute la stratégie dite gagnante
de RDC était de construire son électorat sur la base de ce vote des
« achats de conscience », de politique de « bons offices » :
distribution d’argent, à des personnes morales ou physiques, octroi de stages,
des contrats de travail surchargeant la masse salariale de l’île.
Son homologue Anissi Chamsoudine,
lui, faisait des actions de politiques publiques, sur l’école, l’éducation,
l’une de ses préoccupations majeures, Mouigni Baraka quant à lui, sa seule préoccupation
quotidienne consiste à se demander comment gagner en 2016. De cette ambition,
Moroni pue et devient la capitale la plus sale du monde.
Du rejet de Sambi à l’impopularité de l’UPDC
En profonde disgrâce chez élites politiques et dans
les urnes à Ngazidja, Juwa est en perte de puissance à Mohéli et même à
Ngazidja. Son succès électoral à Moroni n’est pas dénué de tout soupçon
antisystème. Son vote serait un vote communautariste. Les élections
législatives exposent ce parti quasi hégémonique au plan national. À Anjouan, les
électorats se partagent entre l’UPDC, JUWA et le camp du Gouverneur Anissi et
les indépendants. Juwa contrôle moins de députés à Ngazidja, et son allié
inconditionnel, PEC, présentera peut-être un député. Sa force sociale reste
exclusivement à Anjouan.
La sanction enregistrée à Ngazidja est le signe
annonciateur d’autres sanctions électorales à venir, d’autres seront autant de
répliques dévastatrices. Il est rejeté. Ses campagnes somptueuses en fanfares
se révèlent des attroupements de badauds chargés pour faire spectacle.
À l’UPDC, frappée d’impopularité elle aussi à
Ngazidja, la situation s’est dégradée… La mouvance connaît la même destinée,
son équipe est de plus en plus traversée par des équipes divisées, la
communication en peau de chagrin. À Mohéli, île natale du président, il résiste
et ne peut pas changer la donne, son vote faiblement important, ne peut lui
garantir une majorité absolue.
C’est le RDC qui parvient à capter, à capitaliser
l’impopularité du président, afin d’en tirer les fruits de ses inconséquences.
On pourrait même dire qu’il forçait les traits de cette impopularité, en la
reproduisant par son inaction dans l’île et en la traduisant en ressources électorales.
Pour que le RDC triomphe, il a fallu que l’UPDC
stagne. C’est cette relation apocalyptique dont en partie trouve une
explication à ce vote surprise du parti Mouigni Baraka. Fondé en 2013, le RDC
n’est pas un parti institutionnellement structuré, n’est porteur d’aucun projet
politique, faiblement pourvu en compétences, il manque un projet et une vision.
Ce dont Mouigni dispose comme moyens et comme offre politique, c’est le
vote de porte-monnaie : enveloppe, contrats fictifs, stages
éphémères, bourses, distributions de cahier à son effigie… Autant des moyens
qui dans un État de droit, lui auraient coûté cher.
La CRC donnée gagnante : son défi
Toutes les analyses attribuent la victoire de ces
élections au parti du Renouveau. La CRC continue d’être donnée gagnante. Des
journalistes politiques, Mohamed Inoussa, des docteurs d’université, Nassurdine
ALI MHOUMADI, des leaders d’opinion, Mohamed Idriss Chanfi, des observateurs
avisés, Hamadi Abdou Mrimdu, tous ont fait te le constat : Malgré ses 5
députés au deuxième tour, la CRC est le grand gagnant de ces élections. C’est
pourquoi, raison gardée, que le défi de la CRC à l’horizon de 2016 est de
construire une alternative désirable et possible. Parce que de ce vote
dispersé, sans une réelle majorité parlementaire se lit une forte demande de
renouvellement de l’offre politique et de la recherche des figures politiques
imposantes, et d’un leader incarnant une figure politique forte.
Vers une recomposition de l’espace politique ?
Une recomposition de l’espace politique semble
nécessaire. Plus que jamais, ces élections confirment l’hypothèse selon
laquelle pour gagner, les partis politiques doivent unir leurs forces et leurs
équipes afin de se constituer en de grandes familles politiques dotées de
capacités influentes ou dominantes. Au lendemain du premier tour des élections
de 2015, le champ comorien se vit en ordre bipolaire : d’un côté, une
configuration portée sur des sensibilités dissidentes (RDC) et antisystème
Juwa, aux électorats éclatés dont le fonctionnement s’inscrit sur le mode de la
clientélisation, de l’autre, les partis de sensibilités républicaines aux
électorats stables (CRC, l’UPDC, RADHI).
Ce qui se dégage dans ces élections, il ne pourrait
n’y avoir ni stabilité ni ordre électoral stable sans une réelle recomposition
et sans une grande vigilance sur le fonctionnement des organes chargés des
déroulements du vote. Les partis politiques ont intérêt à la vertu proprement
électorale qu’à la triche et à la fraude.
Msa Ali Djamal, sociologue.
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