samedi 30 janvier 2010

«Pour ces législateurs frondeurs, il n' y a qu'un seul choix, la révocation ou la demande du pardon.»

Un triste événement s'est déroulé le 10 juin à Hamraba, au palais du peuple. La délégation des législateurs anjouanais ont fait défection. Pour qui entendre cette malheureuse incidence, il n'y aurait qu'une seule motivation. Un projet de loi n'aurait pas été accueilli favorablement, et pour ces législateurs, la défection est une forme mesurée de manifester leur mécontentement, en signe donc de protestation.

Sauf que les mobiles sont de nature différents et de surcroît, surprenants. L'histoire de la défection n'était pas orientée pour corriger une injustice faite à ceux qu'ils représentent mais pour réclamer le perchoir. Sa signification est une profonde déconfiture politique, elle n'incarne pas une cause à défendre, soit-elle encore moins celle des Anjouanais, elle représente un échec patent. Elle est d'abord une entrave au projet du vivre ensemble fondé sur le respect de la conformité des institutions. Dans le sillage des mouvement centrifuges, ces législateurs reprennent de sombres verdicts sur la dérive qui nous ferait passer d'une démocratie de projet à une démocratie de rejet. La politique de la chaise vide n'est rien d'autre qu'une défection négative. Et elle exprime l'incapacité des hommes politiques à se conformer aux procédures conventionnelles de concurrence pour la compétition politique, qui est, une des causes du déclin de la confiance politique des citoyens vis à vis de leurs dirigeants.


Ne pas céder aux chantages des frondeurs pour la crédibilité de la politique

Et si elle n'est suivie du principe d'imputabilité, donc de la responsabilité politique, cela minerait les fondements de la démocratie et aggraverait sur la longue durée les principes de la territorialité comorienne appréhendée comme la preuve d'un malaise social.
Et plusieurs facteurs expriment et risquent d'anticiper cette menace de déterritorialité. Tout d'abord, la contestation déviée de ces députés semble renforcer le sentiment d'impuissance des politiques à maintenir la communauté politique de l'ensemble des Comores sous un socle commun de valeurs et contribue à l'élaboration d'une vague de méfiance des citoyens à l'égard des élus censés exprimer l'institution de l'intérêt général.

L'identification à l'« ethnie » et l'adhésion de tous les législateurs anjouanais à la politique de la chaise vide fraîchement affirmée à la fin du mandat de Ahmed Abdallah Sambi renforcent par ailleurs les inquiétudes des individus, et pourraient fragiliser encore la communauté du destin et d'égalité politique garantie par la Tournante. Parce qu'enfin, se référant à Michael Walzer, cette identification peut contribuer à une «société d'éloignement » dont les conséquences seraient plus qu' un effritement du lien social.

C'est dire que la gravité est telle que céder au chantage nauséabond donnerait de crédit à ces frondeurs et intégrerait dans le répertoire de régulation et de revendication toute forme de concurrence déloyale. Cela contribuerait également à légitimer le recours à la défection négative comme mode légitime et stratégiquement bien payant de promotion politique. L'arrangement n'arrangera pas l'affaire. Il la complexifiera davantage. Et pire encore, il serait synonyme d'une démocratie atteinte d'une profonde surdité et d'une extrême fatigue à s'imposer et à se défendre contre ses ennemis. Telle démocratie qui n'arrive pas à se préserver contre l'hérésie qui tend pourtant à miner ses fondements et ses principes de fonctionnement est «une démocratie contre elle-même» selon l'expression de Marcel Gauchet.

Alors, d'autres nous diront que ces frondeurs n'ont fait qu'exercer leurs prérogatives attestées par la république du fait qu'ils sont élus et par leur légitimité reconnue par le suffrage universel. Et qu'il n'y a dans leur mésaventure aucune forme de nuisance ni à la cohésion sociale ni à la démocratie! Soit.

Comportement antidémocratique des frondeurs

Mais, il serait d'une grande cécité politique de porter seulement notre attention sur la sphère de la légitimité représentative, du suffrage universel, du mandat, du principe de la délégation. Parce que la légitimité d'un pouvoir établi par la seule sphère d'une consécration par le suffrage universel ne s'impose plus. Bien sûr, il n'y pas de doute sur le fait que la légitimité électorale reste toujours importante. Mais pour qu'elle soit profondément légitime, l'expression de la volonté générale ou du plus grand nombre à travers les actions des hommes politiques et a fortiori les élus de la république, doit être doublée, endossée et validée par d'autres formes de légitimité complémentaires pour être reconnue comme démocratiquement légitime. Elle doit être concoctée selon les thèses de Pierre Rosanvallon, par la légitimité d'impartialité, la légitimé de proximité et la légitimité de régulation de majorité.

A l'heure du nouvel âge de la démocratie, une institution n'est dite démocratiquement légitime parce qu'élue par le suffrage universel, mais seulement une fois qu'elle s'accompagne et participe à d'autres types de légitimités d'impartialité et d'exemplarité, en terme des bonnes conduites et des comportements considérés comme démocratiques.

Or, il n'y a rien de démocratiques dans les comportements des législateurs frondeurs. Leur défection se traduit somme toute comme une somme d'inaccomplissement politique, de déviation de légitimité et de retournement, d'expression d'irresponsabilité, du déclin de la démocratie du projet. Elle donne l'impression que la démocratie doute d'elle-même et est traversée par un indéniable sentiment du désenchantement, de la dissolution des repères et de l'abandon désormais inscrit dans une histoire de l'impunité politique. Ainsi, domine largement chez les citoyens l'impression d'une désespérante répétition d'un éclatement fatal propre à décourager le désir de citoyenneté commune et à dégrader l'idée même du projet commun.
Parce que mobiliser des ressources insulaires pour plaider une cause, ces malheureux élus prennent leur force et leur supposée légitimité sur une identification «ethnique» fondée sur une instrumentalisation politique de la parenté et de la «ressemblance».

Sur ce, si aucun rappel à l'ordre n'a été fait contre eux, cette solidarité du risque pourrait se durcir et aboutir à un éclatement plus grand que celui qu'on a connu en 1999. Elle aura comme conséquences immédiates ou latentes le réveil des vieux démons de la désunion, des haines fratricides relayés par les extrêmes de tous bords: les séparatistes Grand-comoriens et Anjouanais se réjouiront d'avoir trouvé une bonne occasion pour mettre en avant leurs thèses agonistiques. Les séparatistes Moheliens auront le sentiment d'être toujours frappés par une indignité politique et d d'humiliation. Les citoyens de projet qui ne se retrouvent pas dans un camp ou dans d'autres, auront , avec toutes ces raisons, le sentiment qu' un homme politique peut mettre la république en péril et plus facilement échapper au jugement qu'à la sanction électorale. Que le sens d'appartenir à un monde commun est entrain de se dissoudre dans la société. Au fait que le séparatisme social et le séparatisme politique sont entrain d'être considérés comme mode d'ascension ou de revendication de pouvoir. Ainsi, pour échapper à cette forme impolitique de la démocratie, il faut redonner sens au fait que l'on vit dans un monde commun. En sanctionnant ceux qui manquent au respect des valeurs fondatrices de la cohésion sociale et de l'unité nationale. Pour cela, pour ces frondeurs, il n' y a qu'un seul choix, la révocation ou la demande du pardon.

Nos législateurs ne sauraient-ils pas sur quel pied redémarrer la danse ?

Nos députés qu'on peut qualifier de mauvais danseurs, devraient au moins mesurer les conséquences de leur décision du vendredi 10 juin. Espérons qu'à l'instant même, ils en sont actuellement conscients. Leur réaction considérée, pour certains comme un boycott nous rappelle en quelque sorte, ils devront le savoir, les événements des année 1997. Or les Comoriens n'ont en mémoire de cette année qu'un sombre tableau de leur histoire commune. Aujourd'hui, le cas est plus qu'exceptionnel, dangereux : il s'agit des parlementaires, c'est-à-dire des représentants législatifs. Si leur objectif, dans cette période n'est pas de nous faire revenir encore une fois en arrière, ils devront se justifier pour que nous, Comoriens comprenions cette démarche du vendredi 10 juin. La danse de 97 nous a coupé tout souffle puisqu'elle n'était ni rumbuni rumba. C'était d'ailleurs entre ces deux danses qu'Azali Assoumani a su en trouver une, objet de la fameuse tournante qu'on peut qualifier aujourd'hui de palliative . Si l'histoire ne nous sert toujours pas et que les leçons du séparatisme ne sont pas encore acquises par nous-mêmes, telle situation explique cette difficulté de nos fameux députés ne sachant par quel pied danser aujourd'hui. Enfin, et puisque nulle part n'est mentionné ce que réclament ces députés (occuper la présidence de l'Assemblée nationale), quel est réellement leur motivation ? Et puisque l'article 21 de la constitution stipule qu' « Aucun membre de l'Assemblée de l'Union ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions», quelles mesures politiques juridiques à prendre pour ramener nos députés à la raison ? Il y en a déjà une, nous le répétons : qu'ils s'en excusent.


Historiens et journalistes au secours de l'unité nationale.

Cette politique de la chaise vide serait-elle une conséquence d'un séparatisme mal assumé ? Ce triste événement survenu le 10 juin au palais de Hamdramba nous pousse aujourd'hui à se poser des tas de questions pour comprendre la réaction de ces législateurs. Puisque ces derniers n'ont pas affiché une couleur quelconque politique définie, ont-ils quitté l'hémicycle pour des raisons et visions individualistes ? Est-ce encore une fois le début d'une mauvaise séquence de l'histoire qui se répète ? Quel rôle a-t-il joué l'Historien national dans la crise du séparatisme de 1997 ? N'est-il pas grand temps d'observer nos hommes politiques depuis leurs foyers familiaux, les suivre pas à pas où ils mettent les pieds en dehors des horaires de travail. - Oui, le faire pour la patrie et s'y donner contre leurs actes antipatriotiques.

Et c'est d'abord un travail l du journaliste. Parlons d'abord aux professionnels du journalisme. Le travail est si difficile que le métier en soi fait peur partout dans le monde. Nous ne devrions en aucun cas avoir l'impression qu'aux Comores le journaliste est une fonction facile comme tant d'autres, voire ouverte à tout le monde. C'est dire qu'au-delà du besoin d'informer tout court, il se pose la question de l'objet même de l'information : qu'informent les journalistes ? Que livrent-ils à leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs et ce qu'ils ne leurs livrent pas ? Le travail du journalisme est de veiller à la vigilance collective et individuelle. Or nous n'y parviendrons jamais aussi longtemps que nous serions mystérieux entre nous. Nous n'y arriverons jamais aussi longtemps que le journalisme professionnel n'arrivera pas à démasquer ces politiques qui se passent pour des sages pourtant bons à mettre dans des cages. La vie privée de l'homme politique est confondue à sa vie politique. Il devra faire attention lui-même à cette combinaison dangereuse et veiller à la vigilance des journalistes dignes du nom. Ne pas faire le lien entre vie privée des hommes politiques comoriens avec leur vie professionnelle c'est ne pas comprendre ce qu'est la politique aujourd'hui. Le journaliste comorien doit alors s'armer et se bien positionner pour assurer ce rôle avant que d'autres le fassent pour lui.

Les autres c'est nous le peuple sensé agir, dénoncer, contredire, former une force unique et un contre-pouvoir en fonction du bon travail journalistique professionnel. Les autres c'est le Comorien amateur qui, en se baladant avec son appareil numérique prouvera ce jour là l'immense plaisir de photographier un député, ministre ou DG quelconque dans tout état sur circonstances. Les autres c'est ce Comorien ou ami des Comores qui, sur Faceboock ou sur autres réseaux sociaux se retrouvent, s'échangent des messages le plus souvent banaux. Les autres c'est ce public éparpillé partout dans le monde, en dehors, comme à l'intérieur des Comores mais uni et qui arrive facilement à se fixer grand rendez-vous en un temps « T » pour communiquer en réseaux.



Djamal M'sa Ali, sociologue et animateur du Forum des idées.
Abdoulatuf Bacar, chercheur en littératures française et francophone, Université Paris VIII.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire